Quelques milliers de kilomètres en stop, un retour d'expérience

Contrairement aux autres articles, techniques, de ce blog, cet article relate une expérience personnelle et en conséquence, comme à chaque fois que j'écris sur mes expériences personnelles, je n'apprécie pas me relire tout de suite. Je m'excuse donc pour les fautes que vous trouverez dans ce billet. J'espère que vous l'apprécierez néanmoins.

Cela fait un moment que je songe à écrire un retour sur mes expériences de stop... je pars, dans la semaine, traverser l'Europe pour aller jusqu'en Grèce en stop et l'envie me prend, maintenant, alors que pourtant je devrais me coucher pour être raisonnable, d'écrire cette expérience globale.

Je crois que j'avais quinze ans, la première fois que j'ai fait du stop. Je rentrais d'une soirée dans un village, à trente kilomètres de chez moi. C'était le lendemain de ma toute première cuite, du coup. J'ai essayé de marcher sur une piscine que je confondais avec un terrain de pétanque, cette soirée là.
Bref. Le lendemain, mon frère devait venir nous chercher, un ami et moi. Il nous a fait un faux plan. On est rentré en stop.
Première voiture : Un couple de vieux qui écoutait Nostalgie. La radio passait Bob Marley à ce moment là.
Après, le gars qui nous déposait a proposé de rouler un pétard. Je fume pas. Je fumais déjà pas. Ils se le sont fumé avec mon ami, dans la camionnette, alors qu'ils me déposaient sur la route. J'étais arrivé, eux avaient encore sept kilomètres à faire.

Puis plus rien pendant des années.

Puis la Norvège. Avec un ami d'enfance, nous étions partis longer la mer, au sud de la capitale, Oslo, avec une canne à pêche et deux kilos de riz. Se nourrir par nous-même pendant trois semaines a été notre objectif de ce voyage.
Après deux semaines de marche, on commence à rebrousser chemin... Nous souhaitions retourner vers Oslo, doucement...
On est sur le bord d'une route qu'on est obligé de prendre pour avancer... une sorte de voie rapide avec très peu de voitures.
On ne fait pas de stop mais une voiture s'arrête. Un père et son fils. On discute, ils sont super sympas. Ils nous parlent du salaire médian de la Norvège, largement supérieur à la France, au fait que leur peuple achète des voitures en France car c'est moins cher, à la fascination du fils pour Napoléon, à leur plat traditionnel typique, aux horaires de bus qu'on devrait prendre... ils nous déposent à la station de bus la plus proche, nous encouragent à le prendre pour rentrer à Oslo... et nous ont convaincu. Nous avons passé notre dernière semaine en Norvège à profiter de la belle capitale qu'est Oslo, en plein festival de musique orientale classique.

Puis deux ans plus tard, en Irlande, quand nous avions finalement fini de traverser le Connemara à pieds. Nous devions retourner à Galway pour prendre le bus nous menant à Dublin, où notre avion décollait.
Nous avons rencontré un française de 16 ans, qui a commencé à faire du stop à côté de nous, et avec qui nous avons passé 24h très chouettes. Elle passait un mois en Irlande, tous frais payés par les parents, pour entraîner son anglais, faire du woofing, etc. L'Irlande avait la réputation d'être l'un des pays les plus sûrs du monde et elle vivait magnifiquement son expérience. Ce nous a permis d'utiliser les cuisines de son auberge de jeunesse, pour préparer des pâtes à la bolognaise et manger avec un groupe de français rencontrés sur place. Nous avons passé la soirée en compagnie de quatre personnes passionnées d'histoire, qui parlaient de l'histoire de la France. Vraiment agréable.

J'ai commencé à faire réellement du stop plus tard. Jusque là, je n'avais eu que des expériences isolées.
C'est peu avant mon départ avec mon sac à dos, prévu pour faire 2017, que j'ai commencé à faire sérieusement du stop.
Je ne sais plus pour quoi exactement. Aller sur l'île d'Oléron ? Aller vers Niort ? Aller à Paris ? Quelle a été ma première grosse expérience en stop... je ne saurais le dire.

Parce que les souvenirs se confondent. Depuis que j'ai commencé, je suis monté dans, je l'estime, environs deux mille voitures. Peut-être moins. Sans doute plus.
Toutes ces expériences accumulées ont eu des conséquences sur ma mémoire. Si je me souviens de certains moments, de certaines personnes, beaucoup sont oubliées, laissées dans un coin de mon esprit.
L'accumulation d'expériences similaires fait que notre mémoire semble négliger ces expériences. Quand on est dans une routine, nous répétons souvent des journées similaires. Toutes se confondent et nous ne nous souvenons souvent que de celles composées d'éléments remarquables.
Le stop ne fait pas exception à la règle.

Je me souviens de quelques personnes, de quelques expériences, qui m'ont marqué.

Cet homme, d'environs soixante ans. Il était routier. C'est rare, d'être pris par un·e routier·e de nos jours. Les camions ne sont souvent assurés que pour un·e seul·e conducteur·ice. Beaucoup se savent remplacables facilement et évitent de sortir des clous. Certain·e·s s'en fichent et font quand même. Il était un de ceux-là.
Il s'était marié, avait eu des enfants. Il m'expliquait le regret de sa vie, aujourd'hui divorcé. Jeune, il voulait aller en Australie, travailler là-bas, voyager. Il ne l'a jamais fait. Il a eu la pression sociale de rester. Il était tombé amoureux, aussi. Il se sentait trahi... par ses proches de l'époque, par la vie.
Quand je lui disais « Il n'est pas trop tard, tu peux toujours voyager aujourd'hui. » il me répondait que si. Dans sa tête, c'était sa jeunesse qui avait été gâchée.
Il m'a déchiré le cœur.

Quand on fait du stop, nous parlons souvent de notre vie. Nous partageons qui nous sommes, la personne qui nous prend et nous. Nous avons parfois dix minutes et un feeling monstrueux. Ces moments sont légèrement frustrants car nous souhaitons converser plus longtemps. Parfois, cela se réalise. La personne fait un détour... allant de cinq minutes à parfois une grosse demie heure.
Les premières fois que ce m'est arrivé, je me sentais vachement gêné. Je n'avais pas envie qu'on fasse de détour pour moi. Pour des raisons écologiques, déjà. Je n'aime pas me dire que je suis responsable de l'utilisation d'essence supplémentaire. En faisant du stop, j'apprécie l'idée de n'utiliser que l'essence que la personne avait prévu d'utiliser, à la base. Pas plus.
Mais avec le temps, on apprend à accepter. On comprend que le stop est un moment de partage. En nous rendant service, la personne qui nous prend se fait du bien. Rendre service fait du bien. Avoir une conversation profonde, passionnante avec une autre personne totalement inconnue... ça fait du bien.

Ce m'évoque cette femme, du coup. Une personne qui travaillait à côté de l'ONU, à Genève. Elle m'avait pris alors que je rentrais de Lausanne pour aller en France. Nous parlions de son travail, de sa vie, des rapports internationaux, des difficultés qu'elle rencontrait au boulot. Nous parlions de ma foi en l'espèce humaine. Elle m'avait proposé de faire un petit détour, pour boire un café.
J'avais beaucoup de route à faire pour rentrer  chez moi mais j'ai accepté volontiers. Elle m'a offert le café puis nous sommes remontés dans sa voiture. Nous avons fait un autre détour pour passer devant le siège de l'ONU, j'ai pu voir aussi le bâtiment, juste à côté, où elle travaillait, puis elle m'a déposé après un pont et m'a remercié. Je l'entends beaucoup, en faisant du stop, la phrase qu'elle m'a dite : « D'habitude je ne prends personne ».
Aujourd'hui, elle avait décidé de me prendre et elle en était contente. Elle passait une mauvaise journée et m'a annoncé que grâce à notre conversation, ça allait mieux.
Ces mots, ils m'ont réchauffé le coeur et j'ai pris le temps d'apprécier une collation dans Genève, appréciant le souvenir de cette femme, avant de traverser la ville pour trouver un spot pour reprendre la route.

Le stop est une aventure sociale. C'est à la fois évident et indispensable de le rappeler. J'y reviendrai.
Le stop, c'est aussi une démarche stratégique.

Faire du stop n'est pas si évident que cela.

Déjà, il y a la dimension logistique. Pour être pris en stop il faut être pris dans un endroit où les voitures peuvent s'arrêter. Or, les routes ne sont pas construites — en France en tout cas — avec cette idée en tête. Il y a des voies d'urgence, mais pas partout. Si les voitures vont trop vites elles ne pourront pas forcément s'arrêter. Ainsi, il faut éviter l'entrée des voies d'accélération, précédent les entrées de voie rapide.
Pourtant, parfois nous n'avons pas forcément grand choix et il faut faire avec, comme un fameux rond-point à Montpellier.
Les grandes villes sont les pires lieux pour faire du stop. La solution est souvent de prendre un transport en commun pour sortir de la ville.
Sinon, on apprend par l'expérience que c'est une très mauvaise idée de faire du stop à la sortie du périphérique de Paris et qu'on remercie la chance d'avoir fait qu'une voiture s'arrête à l'arrache sur le côté pour nous récupérer et nous mener à l'extérieur de la ville au bout d'une demie heure.

Pour savoir si des gens ont essayé avant nous de faire du stop où nous sommes, il suffit de regarder les panneaux et barrières. Pleins de personnes laissent une marque et indiquent leur trajet ou leur temps d'attente dessus. C'est comme ça que j'appris qu'une personne avait attendu plus de 36h à l'aire d'autoroute au nord de Lyon.

Dans la logistique, certains recommandent de faire des panneaux. Dans la pratique, je n'ai constaté aucun gain de temps entre l'année où je faisais des panneaux et les deux années où j'ai cessé d'en faire. Ici, je pense que nous pouvons faire comme nous le sentons, que le panneau n'est pas une obligation.

Il ne m'a pas empêché de patienter 2h sous le pont de la gare de péage d'Avignon Sud, alors que je tenais un panneau Paris à la main. Pas mal de personnes me regardaient d'un air ahuri, exprimant sans parler qu'elles n'allaient pas si loin. Pourtant, en jetant un coup d'oeil à la voie choisie par ces voitures, je constatais bien qu'elles allaient souvent vers le nord, en direction de Lyon et donc... de Paris.
Ces personnes ne se disaient pas qu'elles allaient dans la même direction que moi. Elles se disaient certainement qu'elles ne pouvaient pas aller aussi loin donc qu'elles ne devaient pas me prendre.

C'est une hollandaise qui m'a finalement pris. Elle rentrait chez elle. Nous avons fait le trajet ensemble jusque peu avant Dijon.
Cette mère célibataire élevait seule sa fille. Elle était institutrice.
Nous avons discuté longuement de la manière dont elle élevait sa fille.
Elle lui laissait le droit de choisir pleins de choses de son quotidien. Par exemple, elle lui laissait à disposition des bonbons qu'elle apprécie. Sa fille n'en mangeait pourtant que de temps en temps, sans en abuser.
Elle l'accompagnait dans les prises de décision au lieu de prendre les décisions pour elle, ce qui est plutôt monnaie courante dans notre société.
La conversation était passionnante. C'était la première fois qu'une mère et sa fille me faisaient confiance pour monter dans leur voiture. C'était un chouette moment.
Je montais à Paris pour dire adieu à des amis proches, c'était agréable de les rencontrer toutes les deux sur la route.

Quelques heures plus tard, à Beaunne, alors que je désespérais de pouvoir arriver à Paris ce soir-là, je finis par être pris par un gars et ce que je suppose être sa tante. La première chose dont il m'a parlé est sa voiture. La deuxième est leur racisme à tous les deux et du fait que les arabes sont des nuisibles. Je n'en avais rien à faire de sa voiture mais je vais être honnête avec vous... j'ai essayé de revenir sur sa voiture aussi souvent que possible durant les deux heures de trajet que nous avons passé ensemble.
Les deux n'étaient pas méchants. Leur raisonnement était juste bancal et les poussaient à avoir des idées que je pense absolument absurdes.
Ces deux mêmes personnes qui ont accepté qu'un inconnu ressemblant à un clodo monte dans leur voiture entre Dijon et Paris et qui m'ont déposé où ça m'arrangeait en centre ville.
À un moment, il m'avait demandé ce que je pensais de ce qu'iels disaient, avec sa tante, sur les arabes et le fait qu'on se sente plus en France. Je lui avais répondu que je n'avais pas d'avis.
C'était la première fois que je me retrouvais dans cette situation inconfortable. C'était difficile à gérer. J'avais envie de sortir de la voiture. J'avais envie d'arriver à destination. Je n'avais pas envie de les heurter pour autant. J'avais envie d'éviter de parler de ces sujets. J'avais envie de pouvoir assumer mes idées, aussi. Mais mon discours n'était pas suffisamment construit à l'époque pour les aborder correctement.
Bref, j'ai fini par arriver à Paris.

En faisant du stop, nous rencontrons des personnes avec qui nous sommes parfois en parfaite harmonie, parfois avec qui ça ne match pas tellement, parfois avec qui on n'a vraiment aucun feeling.
Pourtant, lorsque c'est le cas, comme avec ce gars et sa tante, je pense qu'il faut regarder ces personnes avec douceur et rester ouvert d'esprit.
Saint-Exupéry écrivait « Dis-leur donc à chacun tu as raison car ils ont raison. ».
Ceux deux-là avaient raison de penser comme ils pensaient. Je veux dire par là qu'il y avait des raison qui les poussait à penser comme cela. Ces raisons n'étaient pas bonnes à mes yeux mais elles trouvaient forcément une cause quelque part. Et écouter ces personnes, malgré ma divergence d'opinion, me permettait alors de mieux comprendre cette cause, et mieux la combattre.
Car Saint-Exupéry continue: « Mais mène-les plus haut sur leur montagne, car l'effort de gravir, qu'ils refuseraient par eux-même tant il exige de la part des muscles et du coeur, voilà que leur souffrance les y oblige et leur en donne du courage. Car tu fuis en hauteur si les éperviers te menacent. Car tu cherches en hauteur le soleil si tu es arbre. »

Ainsi, grâce au stop, j'ai pu exercer mon discours auprès de milliers de personnes, toutes différentes. En faisant du stop, on répète souvent les mêmes choses. Avec l'expérience, on apprend à susciter des réactions différentes, avec notre discours, chez les autres, et on apprend à mieux s'exprimer, mieux transmettre les idées que l'on souhaite transmettre.

Du « Je ne travaille pas » exprimé il y a quelques mois, je dis maintenant que je n'ai pas d'emploi. Par contre, je travaille au quotidien sur deux sujets citoyens et qui justifient ma présence ici, en France : La construction de contenu pédagogique sur l'impact du numérique sur l'humain et les sociétés humaines, et la démocratie.

Honnêtement, les réactions entre la première version et la seconde sont largement différentes. Ce permet aussi d'exprimer ma conviction qu'il faille faire la différence (trop peu souvent faite) entre l'emploi et le travail. L'emploi est du travail reconnu et rémunéré. Mais du travail non-reconnu... la majorité des gens en font au quotidien. Secteurs associatifs, bénévoles, parents au foyer, jardinage, implications citoyennes, etc.
Les gilets jaunes construisant des cabanes (de véritables chef d'oeuvres, parfois) sur des ronds-point et lutant pour une société différente... qu'est-ce sinon du travail ?

Discuter de ses idées, encore et encore, permet de les éprouver. Grâce au stop, j'ai appris tellement de choses sur la démocratie, en demandant l'avis des gens que je rencontrais sur ces questions là. J'ai revu mille fois ma copie quand je bossais activement sur le sujet presque uniquement grâce aux discussions que j'avais eu en stop.

Mais parfois, nous n'avons simplement pas de discussion. On essaie mais la personne, qui nous a pris, n'a simplement pas envie de discuter. Elle nous a pris par charité mais n'est pas bavarde dans l'âme. Cela arrive rarement, mais ce peut arriver. Alors on essaie difficilement de lancer un sujet de conversation puis on fini par se raviser et rester simplement pensif, à contempler le paysage, alors que l'on a l'impression d'être dans un taxi.

Tout cela... c'est lorsque nous sommes dans la voiture. Jusqu'alors, il y a les moments de patience. Des moments de patience, pas d'attente.
Je différencie les deux (peut-être à tort, je n'ai pas lu la définition de chacun, je le ferai d'ailleurs.).
Là où la patience décrit un état passive, nous permettant faire autre chose en même temps, l'attente est un état actif, qui implique que notre action est l'attente.

Il ne faut pas attendre d'être pris, il faut agir pour l'être.

C'est simple, une fois gérées toutes les problématiques de logistique citées plus haut, nous avons à peu près une seconde pour plaire à la personne qui est dans la voiture.

Et cela demande beaucoup, beaucoup d'énergie. Faire du stop est épuisant.
Nous sommes donc dans la démonstration.
Premièrement, nous devons faire attention à ne pas se tirer des balles dans les pieds à cause de biais cognitifs et d'idées pré-conçues :
Nous devons toujours avoir les mains en évidence. Pareil pour le visage. Même s'il fait froid, même s'il pleut.
Beaucoup, beaucoup de gens expriment de la peur quand ils nous voient. Certaines voitures (souvent les personnes agées, d'ailleurs), vont même jusqu'à faire un léger écart de peur, je suppose, de se fair carjacker.
La France est l'un des pays d'Europe où les gens ont le moins confiance en les autres.
Beaucoup d'automobilistes ont peur de se faire agresser, là où les statistiques montrent que c'est bien plus dangereux pour les auto-stoppeurs.
Alors il faut éviter de nourrir ces peurs. Laisser ses mains en évidence montre qu'elles sont vides. Notre visage permet aux gens de se faire un avis sur notre physique, déjà, mais aussi et surtout sur l'attitude que nous dégageons.
L'attitude est l'aspect le plus important, je pense, pour être pris en stop.
Les jours où je suis le moins facilement pris sont les jours où je suis fatigué, et ai donc du mal à dégager de l'énergie positive, ou les jours où je suis pressé, et suis donc pré-occupé par le temps ainsi que dans un état d'attente.
Je pense qu'il est laaaargement plus facile d'être pris lorsque nous sommes serein, patient, et que l'on exprime par notre attitude tout l'amour que nous portons à notre prochain.
Il faut mettre en confiance les gens via notre attitude.
C'est pourquoi, lorsque l'on attend, regarder le conducteur ou la conductrice dans les yeux permet de dialoguer, sans mot, avec la personne. Nous essayons ainsi de la mettre en confiance.
« Je suis gentil ! », « Ah ! Je vois que vous n'avez pas de place, ce n'est pas grave, merci ! », « Allez ! Tu vas voir ça va être chouette ! ».
Toutes ces phrases, j'essaie de les exprimer avec mes yeux, mon corps, mon énergie.
Et ce rend toute l'expérience beaucoup plus agréable.

Déjà parce que malgré tout, on essuie beaucoup de refus, mais c'est beaucoup plus agréable quand les gens le font en s'excusant d'un sourire discret ou franc ou d'un signe de la main plutôt qu'en nous ignorant glacement du regard.
Et ensuite, parce que l'attitude que l'on a envers la première voiture va être vue par la seconde, qui sera peut-être plus encleinte à nous prendre, malgré un impact certain du mimétisme, qui nuit à nos chances d'être pris dans ce contexte.
Je m'explique :

À cause du mimétisme, si la première voiture ne nous prend pas, la deuxième répètera plus facilement ce mouvement et aura plus de mal à nous prendre.
Mais ce qui est génial... c'est qu'ça marche aussi dans l'autre sens !
Lorsque l'on est à un péage d'autoroute, qu'une première voiture nous demande où l'on va et nous indique qu'elle va dans une autre direction... très souvent, la voiture de derrière va nous demander à son tour. Et ça marche crescendo. Il m'est arrivé d'avoir quatre voitures de suite qui me demandaient ma destination. (Un certain manque de chance, car au moins trois voitures n'allaient pas dans la même direction ce jour-là)

J'apprécie beaucoup faire du stop aux péages d'autoroute, même si je me suis fait viré pas mal de fois par les employés ou les flics (gentillement, ils me demandent juste d'aller plus loin) cette dernière année (depuis le mouvement des gilets jaunes).
Les gens ont le temps de s'arrêter, de nous regarder, de prendre la température, de voir notre réaction avec les autres voitures, de réfléchir encore. Bref, même si c'est illégal, c'est plutôt bien toléré et je n'ai jamais eu de problème.

Les problèmes en stop, ils arrivent lorsque l'on fait des erreurs de jugement. C'est pourquoi, à l'image de chaque moment de sa vie, il faut réellement apprendre de ces erreurs pour ne pas les répéter.

Ces erreurs, elles vont par exemple être des erreurs de destination. La personne nous indique aller dans un endroit qui nous avance mais elle nous dépose sur une route où aucune voiture ne passe. Du coup, on perd quatre heures à patienter sur la route paumée ou on fini par marcher une heure et escalader un grillage pour se retrouver sur une air d'autoroute, non loin d'Aix-en-Provence, à la tombée de la nuit afin d'être pris par les voitures qui s'arrêtent ici.
Avec l'expérience, ce genre d'erreurs arrivent réellement plus rarement. On fait attention à être déposé près d'une autoroute, d'une nationale ou d'une départementale. D'endroits fréquentés. Pas nécessairement énormément, car plus il y a de voitures et plus chaque voiture va se dédouaner de nous prendre, mais au moins quelques unes à la minute.
Je me suis souvent retrouvé dans ce genre de situations galère parce que j'appréciais grandement la conversation que j'avais avec la personne et que je me disais « Tant pis ! On verra bien ! ». C'est aussi ça, la vie, je pense. Ne pas toujours penser optimisation et laisser un peu les aléas se réaliser.

Non, il y a des erreurs plus dangereuses. Celles qui sont liées à la personne qui nous prend. Je n'ai réellement été en danger qu'une seule fois. Mais j'ai eu trois expériences particulières (outre le gars et la tante racistes) :

La première était à Avignon. Un gars était arrêté sur le bord de la route, derrière il y a avait une voiture de police. Les flics revenaient de se voiture quand j'avançais pour faire du stop. Le gars me voit, me demande où je vais, j'indique Valence, il me propose de me déposer à Montélimar.
Là, j'ai, pour la première fois, senti mon intuition me mettre en alerte. Je ne sentais pas mal le gars. Je ne le sentais pas bien non plus. Un truc clochait et me poussait à être méfiant. Je suis quand même monté.
C'était juste un pervers, qui m'expliquait pendant une heure qu'il aimait se masturber au camping naturiste de Cap d'Agde et me demandait si ça m'intéressait, tout ça tout ça. Je lui ai dit que non mais que chacun faisait ce qu'il voulait après. J'avais hâte de sortir de la voiture. Il m'a proposé de m'emmener plus loin, je lui ai dit que non, que c'était déjà génial de m'avoir déposé à Montélimar, que c'était cool de sa part. Puis j'ai recommencé à faire du stop.

Les deux autres expériences se sont déroulées le même jour.
Entre Dunkerque et mon village du sud.
J'étais parti de là-haut à la bourre, à 11h. J'avais à peu près 12h de route (de base) et j'avais très envie de rentrer chez moi en une journée.
Je me retrouve donc par être pris par un gars. Il était en camion, un baba cool. Il était sympa, on parlait de son voyage en Inde, du mien. On discute comme ça pendant 45min. Seulement, depuis le début, je sens un truc un peu chelou chez lui.
Finalement, on arrive à l'endroit où il doit me déposer.
Là, il me dit « Faut que je te dise un truc mais j'ai peur de te choquer. T'es un très joli garçon... tu veux bien me montrer ton corps ? ».
Je m'y attendais.
Je lui répondis donc que non, ça ne m'intéressait pas. Il insista une première fois, je répétais que non, puis il dit « Bon, okay ! Je comprends ! Merci quand même c'était chouette de te rencontrer ! Bonne route à toi ! ».
Puis j'suis descendu après lui avoir serré la main et j'ai repris le stop.
C'était plutôt flateur, il n'a pas été relou, mais mon intuition m'avait tout de même mis en garde de faire attention. Avec le recul, je me suis dit que je ne sais pas comment j'aurais réagi si ça avait été une nana avec qui j'ai un super feeling qui me propose ça. Autant j'aurais accepté. Il a eu raison d'essayer (puisqu'il n'a pas insisté plus d'une fois).

Puis quelques heures plus tard, au péage nord de Lyon.
Il fait nuit. J'avais envie d'au moins traverser Lyon, j'aurais pu aller dormir chez des proches à Valence comme ça, sans trop de difficultés.
Deux gars et une chienne me prennent, ils rentraient d'Amsterdam. Ils avaient passaient le week-end là-bas.
Ils avaient une tablette sur laquelle une application leur indiquait les radars. Quand il n'y avait pas de radar, on approchait les 200km/h.
« Tant qu'ils gèrent, j'm'en fous. »
Ils s'ouvrent une bière. Je me dis pareil.
Ils s'allument un pétard, je me dis pareil.

Et là, le passager me dit « Tu veux de la Ké ? ». Je comprends pas. Je pensais qu'il me proposait de la cocaïne. Là, j'me dit que ça commence à devenir réellement dangereux pour moi. Et en même temps, je réfléchis à ce qu'il vient de me dire. D'habitude, on dit « C » pour la cocaïne... Je lui réponds que je ne prends pas de drogue, que je ne fume pas, que je ne bois pas, malgré mes dreads.
Ils se font donc deux rails et les sniffent, pendant qu'ils conduisaient. Quelques secondes passent et j'apprends que ma crainte était réel. Ils ne prenaient pas de la cocaïne, qui est un stimulant (extrêmement dangereux au volant, vu le sentiment d'invulnérabilité que ça offre). Ils venaient de se prendre un putain de rail de kétamine, un anesthésiant pour chevaux !
À partir de là, j'essaie de maintenir une conversation tout en observant attentivement le conducteur dans le rétroviseur.
Nous commençions à rouler moins vite, beaucoup moins vite.
Puis là, il commence à fermer les yeux régulièrement. Au bout de quelques secondes, il dit difficilement (Il avait subit une opération aux dents donc ne pouvait parler facilement de base, la kétamine n'a pas aidé à ce moment) qu'il s'endormait et qu'il fallait qu'il s'arrête absolument. À ce moment, la chance nous a offert une voie de sortie. On passe le péage, ils changent de conducteur.
Là, un choix s'offrait à moi. Rester dans la voiture avec le nouveau conducteur, qui venait de perdre son permis en Hollande et qui était aussi défoncé à la kétamine, mais qui semblait mieux gérer que l'autre... ou sortir de la voiture et tenter ma chance dans ce péage désert.
J'avais vraiment envie de rentrer chez moi... j'ai choisi la mauvaise option.
Je suis resté dans la voiture. Heureusement, il leur a fallu cinq ou dix minutes avant de décider de s'arrêter sur une aire d'autoroute. Le gars qui conduisait avait faim et besoin de prendre une douche. Nous nous sommes arrêté une heure. Ils ont mangé au McDo (j'ai indiqué que je boycottais et donc ne commanderais rien, malgré le fait que j'avais l'estomac vide, à ce moment là. Ce qui m'a valu une discussion et l'échange de nos numéros avec une fille qui commandait en même temps), pris une douche, fumé une clope.
Puis une heure après, vers 1h du matin, nous sommes repartis.
Moins de trente minutes plus tard, ils me déposaient à Bolène.

J'ai fait une erreur lorsque je suis resté dans la voiture. J'aurais pu mourir, avec eux, et je tiens ma survie à de la chance. Beaucoup de chance.
Quand on fait du stop, il faut apprendre à s'affirmer. Il faut chercher à éviter ce genre de situations. Parfois, nous n'y arrivons pas. Il faut savoir dire non, dire que l'on souhaite s'arrêter, que l'on est pas d'accord avec les conditions dans lesquelles nous sommes.
C'est ce que j'aurais dû faire. En douceur, j'aurais pu dire « Désolé les gars, c'pas contre vous, mais j'préfère ne pas monter avec vous si vous êtes défoncés. Pour moi, pour vous, pour les autres. »
Je ne l'ai pas fait et c'était stupide de ma part.

Comme je l'ai dit, je suis monté dans des milliers de voitures. Rien que cette dernière année, j'ai fait plus de dix mille kilomètres en stop. En France, en Italie, en Suisse, en Allemagne.
Ces trois cas isolés sont des exceptions. Dans les trois, seul un cas était réellement dangereux et j'aurais pu l'éviter.
Toutes les autres personnes étaient des personnes différentes mais souvent très chouettes.
C'est grâce aux conversations que j'ai eu avec ces personnes que j'ai appris par exemple qu'une société de la Drôme, dont l'ancien directeur, maintenant à la retraite, m'a pris en stop, avait mis au point une meilleure gestion de l'énergie des systèmes de refroidissement permettant de faire économiser jusqu'à 50% d'énergie sur un centre commercial ! Cette même innovation n'est aujourd'hui implantée que dans moins d'une vingtaine de centres commerciaux en France et existe depuis plus d'une dizaine d'années. Le directeur avait reçu une lettre du ministre de l'écologie expliquant que ce qu'il avait fait été génial, toussa toussa... mais rien d'autre. Les lobbys actuellement en place cloisonnaient le secteur et l'empêchaient de réellement déployer son système à grande échelle et l'état ne l'a jamais aidé à le faire.
Des histoires comme celle-ci, j'en ai entendues pleins. Par exemple, cet ingénieur à la retraite qui a passé la fin de sa carrière à expliquer aux généraux français comment leur stratégie défensive des sous-marins nucléaires était à l'époque (ça a dû changer depuis) défectueuse. Ils partaient du principe, et c'était le cas pendant la seconde guerre mondiale, que les sous-marins allaient plus bas que les missiles donc pour se protéger d'un missile il fallait juste aller plus bas que leur limite. Pourtant, quand il a fait sa tournée, ce faisait des années que ce n'était plus vrai et il leur expliquait comment s'adapter autrement.

Finalement, faire du stop m'a permis d'apprendre énormément. Sur moi, sur les gens, sur la société, sur des métiers dont je ne connaissais pas l'existence. J'ai rencontré des gens avec qui j'ai gardé contact, chez qui j'ai dormi (je pense à cette mère et sa fille adolescente, une des principales actrices du mouvement de grève étudiante en Suisse), mais aussi tellement de personnes qui se sont confiés, dans l'intimité de la rencontre soudaine et éphémère, des malheurs et des passions.
Je pense à cette femme, dépressive, qui risquait de perdre la garde sa fille, qui faisait tout pour s'en sortir mais dont la vie n'arrêtait pas de lui mettre des coups. Ce genre de rencontre nous fait mal parce que l'on prend en pleine dents certaines difficultés de la vie, que l'on a connu et surmonté, et que l'on aimerait faire surmonter, ou que l'on n'a jamais connu et n'espère ne jamais connaitre. Alors on partage l'espace de quelques minutes le malheur d'une autre personne et l'on essaie de trouver ensemble comment aller mieux. Si ce n'est dans l'absolu au moins dans l'instant. Comment faire face à ces problèmes et sortir la tête de l'eau.

Quand on fait du stop, nous aspirons à ce qu'une personne, qu'importe qui elle soit, sois bienveillante avec nous. Alors je pense qu'il est indispensable d'adopter, en retour, une attitude bienveillante pour toutes les personnes qui croisent notre regard, pendant que notre pouce est tendu.

Ainsi, lorsque la personne s'arrête et que nous nous retrouvons dans l'intimité de la cage de Faraday, il y a tout de suite un consentement implicite : Nous sommes là pour nous faire mutuellement du bien.
C'est bien la là merveille de l'auto-stop.