3 ans sans téléphone portable, mon expérience
Comme à chaque fois que j'écris quelque chose de personnel, je n'aime pas me relire. Je n'ai pas relu cette note de blog, contrairement à toutes les autres de ce blog. Si vous voyez des fautes de frappe, d'orthographe, ou autre, n'hésitez pas à me contacter.
Je viens d'ouvrir ma boite mail. J'y ai découvert deux mails de lecteur·ice·s de ce blog qui m'ont fait bien plaisir.
Un des mails demandait notamment que j'écrive ce fameux retour d'expérience sur mes trois ans sans téléphone portable.
Décidant de ne pas procrastiner plus longtemps, je m'y attèle donc finalement.
Le jour où j'ai décidé d'arrêter d'utiliser mon téléphone portable, je venais d'apprendre l'information de trop : Il est possible de savoir ce que je tape sur mon clavier si je pose mon téléphone à côté.
En apprenant ça, je me souviens m'être levé, m'être apprêté à jeter le téléphone contre le mur... puis me raviser. Ma cousine cherchait un téléphone ? Okay. Je lui vendrai à bas prix le mien. (Avec du recul, j'aurais pu tout autant lui donner directement, j'imagine.)
Premier réflexe : Récupérer les fichiers que je veux conserver puis tout supprimer et lancer la réinitalisation usine du téléphone. Vérifier que l'opération a marché... relancer la réinitalisation usine.
À partir de ce jour, j'ai dû apprendre à m'organiser différemment.
Premièrement, les numéros de téléphone. Il a fallu que je conserve les numéros de téléphone de mon répertoire quelque part et pour cela j'ai fait l'acquisition d'un petit agenda. Il m'a suivi pendant des années. J'essayais de toujours l'avoir sur moi, dans un sac à dos, où je mettais aussi le livre que je lisais dans le moment (À l'époque Citadelle, d'Antoine de Saint-Exupéry.), un stylo, ainsi que, pendant un temps, un dictionnaire (d'abord une encyclopédie puis un dictionnaire de poche) et un dictionnaire français-anglais.
Et finalement, j'ai fini par ajouter, dans ce sac à dos, un cahier sur lequel j'écrivais toutes mes réflexions où certaines choses que je voulais mémoriser (Quelques citations de Saint-Ex', quelques mots en grec ancien, les livres que les gens me conseillaient dans le train ou ailleurs, le matériel de randonnée qu'un ami rencontré en couchsurfing m'a conseillé, etc.).
Tout ça... parce que je n'avais plus de smartphone et que je m'étais habitué à avoir cette extension de moi, comme un assistant personnel, au quotidien.
Au début, se retrouver sans smartphone, sans moyen de communication est perturbant... le vide dans la poche est très lourd, au début. J'avais l'impression de perdre une partie de moi. Je pense sincèrement que c'était le cas. Comme dit plus haut, le smartphone devient une extension de nous-même : de notre mémoire, de notre orientation, de notre horloge interne. Plus qu'une extension, c'en devient le réceptacle dans lequel nous trasferrons toutes ces fonctions.
Me priver du smartphone a donc, les premiers jours, eu pour effet de me sentir amoindri.
Mais ce sentiment n'a pas duré.
Non, ce sentiment ne dure pas. Il ne dure pas longtemps d'ailleurs. Le poids du vide devient de plus en plus léger jusqu'à un point où mettre quelque chose dans ma poche me coûtait. Aujourd'hui, j'n'aime pas avoir des trucs dans les poches.
Ce poids, il était aussi présent psychologiquement parlant.
Le silence.
De l'omniprésence de mes rapports sociaux (SMS réguliers, mails, messageries instantannées, salons de discussions, etc.), je me suis retrouvé, lorsque je n'étais pas près d'un ordinateur ou en présence d'autres personnes, dans le silence.
Comme pour le poids du vide la poche, le silence avait lui aussi son poids.
Mais là encore, ce poids s'est rapidement allégé jusqu'à devenir allégresse.
Que c'est génial de ne pas être joignable ! Que c'est génial de ne pas avoir à répondre à un SMS ou à un appel ! De pouvoir juste refuser tout cela parce que, techniquement, les gens savent qu'ils ne peuvent nous joindre.
Alors... la paix. Oui, j'ai vécu comme une sorte de paix. Difficile à obtenir et imparfaite, surtout de la part de la famille.
Car la famille, et notamment ma mère, a eu du mal à comprendre.
« Et comment je fais pour te joindre si je dois te joindre ? ».
Maman, tu ne me joins pas. C'est le but.
« Mais... comment je fais pour savoir que tout va bien ? ».
Si ça va mal, tu seras contactée, Maman. Pas de nouvelle, bonne nouvelle.
Puis les amis.
« Comment on fait quand on veut venir chez toi ? »
Tu tapes à la porte.
Toute l'organisation de notre société semble reposée sur le postulat que nous pouvons à tout moment transmettre une information et avoir l'acquisition que l'autre personne a bien reçu cette information (Vous connaissez les accusés de réception, je suppose ?).
L'absence d'accusé de réception (qu'importe la forme que cela prend), se transforme alors comme manquement organisationnel.
Un exemple ?
En 2017, j'ai dit adieu à ma famille, mes amis. Depuis 2014 je préparais un « grand voyage » dont l'accomplissement devait me prendre, selon mes prévisions de l'époque, entre 10 et 30 ans. Je vous passe les détails de ce pan de ma vie, mais vous vous doutez que finalement ce ne s'est pas passé comme je l'avais prédit car je suis aujourd'hui là, à vous écrire.
Donc, fin septembre 2017, après avoir passé l'été à dire adieu à mes amis, puis à ma famille, je me retrouve au bord de la route totalement en larmes après avoir dit adieu à mes meilleur·e·s ami·e·s et mon père. Le voyage commençait... et allait commencer par une petite halte en bourgogne. Depuis plusieurs semaines, j'échangeais par mail avec un tourneur sur bois et écrivain qui souhaitait me rencontrer (il avait entendu parler de moi via une amie commune).
Nous avions convenu que je le rejoindrai ce fameux dimanche de fin de septembre. Mais ayant la tête dans mon départ, je n'avais pas envie de passer mon temps à écrire des mails et je lui ai juste dit que je le rejoignais bien dimanche mais que ce serait en stop, donc je ne pouvais savoir à quelle heure j'arriverais chez lui.
Le stop a plutôt bien marché. Je me suis retrouvé, une dizaine d'heures plus tard, devant son atelier.
Il était furieux. Il m'avait attendu absolument toute la journée. Il était dix-sept heures.
Je ne pouvais savoir à quel moment j'allais arriver chez lui. Je ne pouvais lui donner de date exacte. Je ne sais pas si j'ai manqué, dans mon mail, de préciser l'heure de mon départ, que je partais en stop. Cette période est un peu confuse et les mails supprimés depuis longtemps.
Toujours est-il que quand il a lu que je viendrai dimanche. Il a ouvert l'atelier le matin et m'a attendu toute la journée. Pensant que j'arriverais en fin de matinée ou début d'après-midi. Je ne sais pas.
Dans cette histoire, je me suis tout de même pleinement excusé, ai dormi dans ma tente ce soir là, puis ai passé une bonne journée à échanger avec lui et sa femme. Deux personnes charmantes. C'était agréable de les connaitre. Il m'a offert une toupie, crée sous mes yeux, dont j'ai pu choisir les couleurs.
Et puis, le même jour, lundi donc, je suis allé voir un couple d'ami·e·s, que je n'avais pas vus depuis une année, et dont j'avais fait la connaissance via la même amie commune que le tourneur sur bois. J'avais prévenu celle-ci, avant mon départ, que peut-être j'irai voir ces ami·e·s mais que je n'étais sûr de rien.
J'y suis finalement allé, sans prévenir, donc, ce fameux lundi. J'ai été accueilli comme si ça avait été prévu. C'était simple, fluide, agréable. J'y ai passé trois jours à jardiner et discuter de mon voyage. Un séjour merveilleux.
Face au manque de prévenance, de prévoyance, tout le monde ne réagit pas de la même manière. Le couple d'ami·e·s chez qui j'ai passé quelques jours était plus habitué à vivre sans numérique (iels avaient tout de même un ordinateur, un smartphone, etc. Mais passaient la majorité de leur temps, lors de la belle saison, à jardiner, bricoler, lire, etc.) que le tourneur sur bois. Le tourneur sur bois avait aussi quelques soucis personnels qui justifiaient en bonne partie son énervement. Ce n'était rien de grave.
Mais lorsque l'on vit sans téléphone, il faut s'attendre à devoir s'adapter au besoin d'organisation de la société.
Quand je traverssais la France d'un point A à un point B, je prennais souvent le train au début.
Alors, avant de partir, je regardais entièrement l'itinéraire que j'allais devoir emprunter lorsque j'allais à Paris, par exemple. Je notais les stations de métro que je devais prendre, quel RER je devrais emprunter, etc.
Ensuite, je m'arrangeais avec la personne que j'allais visiter pour qu'elle sache une fourchette sur mon heure d'arrivée. Si la personne était de la région parisienne, il suffit que je lui indique l'heure d'arrivée de mon train pour qu'elle sache me dire vers quelle heure je serais arrivé.
Quand le train avait un retard et qu'il fallait que je sois ponctuel, j'empruntais un téléphone portable aux gens dans la rue pour prévenir.
C'est comme ça que je me suis retrouvé chez un gars, à Aix-en-Provence. Le bus pour rentrer chez moi n'allait pas passer, il était 21h passée, il faisait nuit. Je demande à un homme un peu plus jeune que moi si je peux téléphoner. Je préviens mes amis que je ne les retrouverai pas le soir, que j'allais me débrouiller sur Aix-en-Provence. Le jeune m'invite alors à passer la nuit dans sa chambre étudiante.
On a bu deux bières, mangé des pâtes, discuté jeux-vidéos et autres. L'espace d'une soirée, j'ai eu la chance de vivre la vie classique d'un étudiant au lieu de dormir dehors. C'était chouette.
Ou encore, alors que je montais à Paris pour dire adieu à des amis, pendant l'été 2017. J'arrive à la gare de lyon, je prends le métro et demande à une demoiselle si je peux passer un coup de téléphone. Je préviens mon ami que je suis arrivé, lui demande où nous devons nous rejoindre. Il m'indique République, je crois. Je ne sais plus, pour être honnête. La demoiselle allait au même endroit. Alors, en attendant que mon ami nous rejoigne, elle m'a invité à rester avec ses ami·e·s. On a bu quelques coups, puis finalement, mon ami est arrivé et je leur ai dit adieu.
Dire adieu... c'est aussi là un phénomène fascinant, merveilleux, déchirant parfois.
Sans téléphone portable, sans Facebook ou réseau social populaire... on apprend à dire adieu aux autres... et ce côté éphémère de la relation laisse souvent un goût merveilleux dans le coeur.
J'ai toujours eu une adresse électronique mais c'est peu apprécié de la plupart des gens. Ce m'évoque une anecdote où, début 2018, dans un bar de bordeaux, je fais la rencontre d'une femme chez qui je passe la nuit. Je n'étais que de passe, je devais partir à 8h... il était 9h passée... aucun·e de mes ami·e·s ne savait où j'étais... je devais les rejoindre rapidement. On se dit au revoir. Elle veut garder contact, ça me déplairait pas non plus mais je lui dis : Je n'ai pas de téléphone.
« Okay, file-moi ton Facebook alors ? ».
Non, je n'ai pas Facebook non plus... Je lui réponds alors « J'ai un mail, si tu veux ».
Et, en souriant, dépitée, elle me répond « Rah, putain, casse-toi ! ». Sur un ton humouristique, agréable. Mais à ce moment, elle et moi avions compris qu'on ne se reverrait probablement plus jamais.
Ainsi va de nombreuses rencontres faites au fil des années. Les personnes avec qui je tenais énormément à garder le contact, je leur donnais mon adresse mail, prenais la leur. Mais c'est vraiment rare que finalement le contact soit maintenu.
Quand on n'a pas de téléphone portable, la majorité des rencontres que l'on fait en dehors de son lieu de domicile sont éphémères.
Et ce n'est pas désagréable, je l'ai déjà dit.
Mais parfois... on rencontre une personne avec qui nous souhaitons faire plus que garder un contact... nous souhaitons entretenir une relation, mais la personne habite loin. Nous ne sommes pas non plus de la génération où il est aisé d'entretenir une relation épistolère. J'ai essayé, par courrier et par mail. Ce n'est pas si évident qu'il n'y parait.
Je reviendrai sur ce sujet un peu plus tard.
Avant, il faut parler d'autres phénomènes observés durant ces années sans téléphone portable.
Déjà, on se rend compte que tout le monde est sur son téléphone une fois que nous n'en avons plus.
Le nombre de fois où dans une soirée je me suis retrouvé à observer la majorité de mes ami·e·s alors qu'iels consultent leur téléphone.
Puis, avec le mimétisme, il suffit qu'une personne sorte son smartphone pour que toutes et tous le fassent.
Aussi, la majorité des gens utilisent leur téléphone tout le temps, pour tout et n'importe quoi. Le réveil, prendre des photos de la soirée, de soi, du plat qui vient d'être servi au restaurant (ça, c'est pas la majorité des gens, heureusement), pour écouter de la musique.
D'ailleurs, en parlant de la musique, j'avais pendant un temps, fait l'expérience de me priver aussi de baladeur mp3. C'était assez chouette. Les rares moments où j'écoutais de la musique étaient bien plus savoureux et j'étais présent à chaque instant là où j'étais. Ainsi, sans musique, sans téléphone, sans filtre qui nous coupe de la société, nous tendons naturellement vers elle pour « passer le temps ».
Je n'ai jamais eu autant de conversations avec des personnes que je ne connais pas — dans le train, dans le bus, dans le métro, etc. — que depuis que j'ai fait cette expérience.
Je me souviens de cette femme avec qui j'échangeais sur son livre, traitant du capitalisme destructeur de l'écosystème. C'était dans un train.
Ou encore de cette anthropologue spécialisée dans les poisons, qui m'expliquait qu'en terme de découvertes majeures, le dernier siècle était assez pauvre et nous faisions surtout que redécouvrir d'anciens savoirs.
De ce jeune, étudiant Sciences Politiques et Haute École de Commerce, à Paris, avait qui j'ouvrais, fin 2018, une discussion sur ces écoles alors que nous prenions le train.
« Nous savons que nous servons à rien, mais nous savons aussi que nous allons nous faire 13 000€ par mois et qu'on aura la vie facile. »
« Nous sommes éduqués pour être de bons outilleurs du système. » Plus iels encouragent le système, plus ils sont récompensés. Plus iels cherchent à aller à son encontre et plus iels auront des bâtons dans les roues.
J'avais de nouveau un portable, lorsque j'ai rencontré ce jeune, mais je n'avais pas repris le réflexe de m'isoler dans les transports en commun.
Aller vers les autres... c'est ce que prive le plus le smartphone, d'après mon observation.
Quand je n'avais pas de smartphone, je devais demander aux autres mon chemin lorsque je le chercher. J'avais des interactions sociales régulières, sympathiques.
Je m'étais fait cette réflexion quand à Paris, nous cherchions un parc non loin de là où nous étions, mes ami·e·s et moi. Le GPS semblait ne pas bien indiquer le chemin. Autour de nous, plusieurs personnes marchaient. J'ai attendu quelques secondes, suivant le mouvement du groupe qui réclamaient le chemin du GPS, puis finalement, j'ai juste demandé à une dame où était le chemin et elle nous l'a indiqué, aimablement, avec un joli sourire qui fait plaisir au coeur.
En ayant un smartphone, en s'individualisant, en se rendant soi-disant indépendant... nous nous privons de sourires quotidiens, agréables et ô combien importants pour notre bien-être et pour celui de celles et ceux qui le font.
Aujourd'hui, j'ai repris un smartphone. Ce, depuis Septembre 2018.
Trois raisons m'ont convaincu de le faire.
La première est que j'en avais marre que ma famille, essentiellement ma mère, prenne mon meilleur ami pour mon secrétaire et l'appel tous les jours en demandant si je suis avec lui. Si je m'étais privé de téléphone, c'était pour ne plus être joignable. Mais tout le monde ayant un téléphone... Il suffisait que je sois avec quelqu'un qui en ait un et on pouvait me joindre.
La deuxième raison est une raison de connaissance. J'étais perdu avec les smartphones d'aujourd'hui et je commençais déjà à travailler sur leur impact. Quand j'en avais un dans les mains, je ne reconnaissais rien de l'interface, ne savais où appuyer, tout avait changer. Pourtant, courant d'année 2018, j'ai eu à intervenir dans une formation nommée Grande École du Numérique, visant à former des médiateurs numériques. J'ai recommandé à ces personnes des applications que je n'avais jamais personnellement testé, faute de smartphone. Je n'aimais pas cette situation.
La troisième raison est liée à une fille. J'ai eu un coup de coeur durant l'été 2018 et, malgré que j'avais échangé mon mail et envoyé un mail, je n'avais jamais reçu de réponse. Je ne savais ce qu'il en était. Quand j'ai eu un téléphone, que j'ai demandé à une amie son numéro et que je l'ai appelé... ce fut assez agréable. Ce mail... elle songeait à y répondre mais ne le faisait jamais. Procrastination, quand tu nous tiens.
Bref, ce sont là les raisons qui m'ont poussé à reprendre un smartphone.
Aujourd'hui, cela fait un peu plus d'un an que j'en ai un.
J'en ai choisi un reconditionné, dont je pouvais changer le système d'exploitation par LineageOS, et ai installé la majorité des applications que je recommandais.
Je ne ressens pas encore tous les effets vicieux que je constatais autrefois mais certains sont bien présents.
Je le regarde d'office quand on me notifie (sauf si je fais quelque chose que je juge plus important, auquel cas ce ne me coûte vraiment rien de laisser une notification en attente).
J'essaie de répondre dans l'instant mais si je n'en ai pas envie je ne le fais pas. Je ne ressens plus de manquement à ne pas répondre à un message, à un appel. Je ressens bien moins de chaînes vis-à-vis du smartphone.
J'essaie d'éviter de le consulter quand je suis chez des gens. Je le pose loin de moi quand je mange ou n'ai pas besoin de l'utiliser. Si je pars sans, tant pis, ce n'est pas grave.
Bref, je me sens plus en position d'esclave.
Mais je sais qu'il faut tout de même faire attention à l'utilisation que j'en fait.
J'espère que ça vous aura été intéressant.
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